Le modèle collaboratif par excellence
Et si une grande partie des champs cultivés en monoculture industrielle se transformait en paysages de résilience, productifs et comestibles, beaux et pleins de vie et où il fait bon vivre, ne serait-ce pas extraordinaire ?
C’est l’ambition du jardin qui s’inspire de la forêt, avec ses végétaux qui interagissent et collaborent. Un jardin avec des arbres, des arbustes et des plantes herbacées, qui nécessite, à maturité, peu d’entretien et peu d’arrosage. Avec d’abondantes récoltes. Pour le bien des générations actuelles et futures. Faites le vôtre !
Par définition, le système de production agricole industriel n’est pas durable. Il est menacé par la raréfaction de l’énergie fossile, dont il est devenu grandement dépendant par le déploiement de la mécanisation et par l’usage des produits phytosanitaires et d’engrais chimiques de synthèse qui abîment les sols et la biodiversité.
C’est aussi un système fragilisé et peu résilient par rapport aux aléas climatiques que nous pourrions connaître. David Holmgren, cofondateur de la permaculture, « nous invite à être un producteur responsable, plutôt qu’un consommateur dépendant ».
Mettre en place des systèmes de production alimentaire durable qui utilisent les ressources naturellement présentes et renouvelables, tout en régénérant le vivant. La forêt nourricière est l’exemple d’un système soutenable qui produit plus d’énergie que celle qui est nécessaire à son installation et à son entretien.
Quelles interventions ont lieu ?
- Le désherbage: enlever la flore autochtone indésirable et l’herbe au pied des jeunes arbres et arbustes, car elles créent une compétition vis-à-vis de leur croissance.
- La création de clairières : c’est-à-dire des percées de lumière afin de laisser se déployer plusieurs étages de végétaux sous les arbres.
- La taille des arbres et arbustes : remonter leur couronne et éclaircir à l’intérieur, toujours dans le but de laisser passer la lumière, mais aussi pour stimuler l’arbre afin qu’il maintienne un haut taux de productivité. Grâce à cette intervention, on observe des bénéfices comme l’augmentation de 30 % de production de bois, de 25 % de biodiversité et de carbone stocké et de 20 % de production alimentaire et de densité nutritionnelle des aliments produits.
Bien sûr, ce système demande de l’entretien, mais en fin de compte, en bien moindre mesure que le maraîchage qui s’appuie essentiellement sur les plantes annuelles, surtout en production conventionnelle.
Quelle dimension ?
Elle peut être implantée sur des terrains de quelques dizaines de mètres carrés à plusieurs centaines d’hectares, sur une terre en friche ou une forêt existante et en adéquation avec la réalité des ressources et des besoins. Elle s’adapte bien sûr à la finalité du projet : consommation familiale en autonomie ou production pour la commercialisation.
Équilibre & diversité alimentaire
Changer d’agriculture nous invite aussi à réinventer notre culture alimentaire, avant d’y être un jour contraints. Chez nos anciens du Paléolithique, 99 % des apports en glucides provenaient de la consommation de plantes sauvages à haute densité nutritionnelle: légumes et légumes-racines, légumineuses, baies, fruits et fruits oléagineux… (ressources typiques d’une forêt nourricière) et seulement 1 % provenait de céréales sauvages. Nous avons récemment inversé la tendance en couvrant plus de 60 % de nos besoins glucidiques par les céréales, souvent cultivées en monocultures industrielles, sélectionnées, raffinées et (ultra-)transformées… ce qui ne nous met pas à l’abri des pathologies dites de société. La forêt nourricière pourrait être un bon complément à une agriculture naturelle, dans le but de retrouver un plus juste équilibre dans notre diversité alimentaire et de diminuer la pression que la monoculture industrielle exerce sur l’environnement.
« Tandis que se complexifient sans cesse des problèmes de ce monde, les solutions restent d’une redoutable simplicité. » Bill Mollison, cofondateur de la permaculture.
La permaculture est cette science inspirée de l’observation des organisations des écosystèmes (les relations et les synergies entre les êtres vivants) pour les encourager de la meilleure manière qui soit.
En quoi le jardin-forêt est-il différent de la forêt ?
Essayons de comprendre comment fonctionne la genèse d’une forêt pour pouvoir nous en inspirer : une terre laissée à l’abandon, à la suite d’une succession écologique d’apparitions de plantes pionnières jusqu’à la canopée (la cime des grands arbres), va laisser place, dans nos contrées, à une forêt. C’est le processus de développement naturel d’un écosystème, qui, lorsqu’il n’y a pas d’interventions extérieures, parvient à l’état terminal de l’évolution : c’est le stade climax. À ce moment-là, l’écosystème a fini d’injecter de l’énergie nécessaire à son déploiement et met en place une forme d’économie circulaire, une sorte de baisse de régime en matière de rendement, pour perdurer dans le temps. Ce que nous cherchons cependant, c’est avoir un système à haut rendement, à l’image des stades qui précèdent le climax. Pour éviter de l’atteindre, nous allons intervenir. Voilà pourquoi nous parlons de « forêt-jardin », en d’autres mots, la forêt jardinée ou « jardin-forêt ».
C’est donc ça, la forêt nourricière ?
Vous l’aurez compris, le jardin-forêt imite les structures d’un jeune boisement: des « strates » (étages) simultanées de végétaux pour rentabiliser l’espace, une densité d’arbres et de végétaux optimisée pour davantage de diversité, des interactions maximisées, et la présence de clairières. On y retrouve en majeure partie des plantes pérennes plutôt qu’annuelles, un sol non travaillé en profondeur et couvert d’une biomasse végétale, afin de respecter et d’améliorer sa structure, sa composition et sa faune. La fertilité est en grande partie assurée par les plantes elles-mêmes.
Pourquoi des arbres ?
Ce n’est que récemment que les arbres ont été bannis des parcelles de cultures pour répondre aux exigences et aux contraintes de l’agriculture mécanisée. Triste constat. Là où les arbres et les forêts rendent des services écosystémiques extraordinaires, ils apportent résilience et pérennité au système. Ils créent notamment des microclimats pour diminuer le stress hydrique et thermique des autres végétaux, grâce aux multiples interactions bénéfiques auxquelles ils contribuent. Ils améliorent la biodiversité et accueillent des auxiliaires destinés à la lutte contre les nuisibles et les maladies. Les arbres permettent d’accumuler des nutriments dans les profondeurs du sol et dans l’atmosphère pour les rendre disponibles aux autres végétaux. Ils représentent aussi des puits de carbone non négligeables. Ils favorisent la pénétration de l’eau dans les sols et améliorent le remplissage des nappes phréatiques. Ils permettent de valoriser des terrains pentus et caillouteux, ils structurent les paysages et ralentissent l’érosion, ils régulent la qualité de l’air, de l’eau, des sols en les dépolluant. Ils servent de barrière contre l’excès de vent et de soleil, contre le bruit et la vue indésirable et pour retenir les animaux d’élevage. Ils habillent et aménagent le territoire, le rendent beau et contribuent grandement à l’équilibre de notre santé psychoémotionnelle.
Leurs multiples ressources
Alimentaires et médicinales (fruits, légumes, jeunes pousses, feuilles, bourgeons, écorces, racines, fleurs, noix, graines, épices, écorces, sève, sirop…), de fibres (tissage de textiles, papier, liens…), d’artisanat (vannerie, résines, saponification et produits d’entretien…), ornementales (créer des ambiances et du beau dans nos lieux de vie et de travail, façonner des bouquets…), de bienfaits sur la psyché (par les bains de forêt et les mains dans la terre), tinctoriales (matériel d’art, teintes de textiles…), d’apports trophiques (1er maillon de chaîne alimentaire, ils fournissent biomasse et fourrage), de pépinières (sélection et reproduction de variétés). Selon les espaces disponibles, il est aussi possible de développer du bois d’œuvre et de l’énergie (charpentes, construction et outils, clôtures, panneaux, piquets, bois de chauffage…).
Densifier les strates de cultures
Par convention, vous pouvez obtenir une forêt nourricière dès l’association de trois strates sur une même surface, mais le système en prévoit jusqu’à onze. Un même végétal peut avoir des strates variées d’un projet à l’autre selon la manière dont il est taillé, ce que l’on souhaite en retirer comme ressources et surtout selon ses besoins spécifiques en lumière. Par exemple, un arbre de petit développement mais très gourmand en lumière ne supportera pas d’être en strates inférieures. Voici tout de même quelques exemples de strates classiques et de végétaux qui y sont habituellement proposés sur la base de leur grandeur et de leur vigueur.
- « Canopée », strate typique des grands arbres pour le bois d’énergie et le bois d’œuvre, des fixateurs d’azote et/ou nourriciers : châtaignier, chêne, noyer, robinier, tilleul, bouleau, pin…
- « Sous-canopée », représentée en général par les arbres fruitiers de taille moyenne: pommier, poirier, figuier, prunier, arbousier, sureau…
- « Arbustive », c’est-à-dire les arbres nains, arbustes, buissons et petits fruits : framboisier, caseilier, myrtillier, aronia, goumi du Japon, genévrier, rosier, amélanchier…
- « Herbacée », représentée par les plantes non ligneuses sauvages ou cultivées mais de préférence vivaces ou pérennes, médicinales, comestibles, à fleurs : panais, poireau, épinard, cardon, asperge, rhubarbe, cosmos, calendula, livèche, capucine, aromates…
- « Couvre-sol », les plantes rampantes et tapissant le sol: fraisier, lierre terrestre, pervenche, alchémille, épine-vinette, airelle…
- « Souterraine » ou légumes-racines, rhizomes, tubercules: pomme de terre, topinambour, raifort, bardane, rutabaga, scorsonère…
- « Verticale », représentée par les plantes grimpantes ligneuses ou herbacées: vigne, kiwaï, kiwi, akébia, clématite des haies, glycine, mûre, épinard grimpant, houblon, passiflore, igname, haricot à rames…
- « Aquatique », la strate des plantes de zones humides: massette, menthe aquatique, lentille d’eau, algues…
- « Fongique » : mycélium et champignons.
Les effets du changement climatique sur les plantes et les jardins
La sécheresse en été et les hivers de plus en plus doux, le déplacement vers le nord d’insectes ravageurs et de maladies, font partie des manifestations de l’évolution du climat et nécessitent des adaptations dans le choix des essences d’arbres et d’arbustes pour les prochaines décennies. Par exemple, nous observons que le nombre d’heures de vernalisation (auxquelles la plante est exposée à des températures inférieures à 7,2 °C en hiver) a diminué de 10 à 20 % depuis 1960, ce qui équivaut à 250 à 500 heures de froid en moins sur la saison. Une des conséquences ? Certains arbres et arbustes locaux ne subissent plus assez de froid, ils risquent alors de débourrer (avoir leurs bourgeons) trop tôt ou trop tard, de moins bien fructifier et d’être moins résistants aux maladies. Il devient judicieux, à condition que les perturbations climatiques aillent bien dans le sens d’un réchauffement, de choisir des espèces qui ont été sélectionnées plus au sud et qui sont donc adaptées aux conditions climatiques qui s’annoncent chez nous. Il existe des tableaux de vernalisation pour orienter vos choix.
Engageons-nous ensemble pour un avenir nourricier. Sentez-vous, tout comme moi, les bonnes énergies et l’enthousiasme que suscite cette vision d’espaces optimisés, regorgeant de richesses alimentaires, médicinales et d’autres utilités, tout en propulsant la biodiversité vers la régénération ? Les forêts nourricières se présentent comme une réponse évidente face aux menaces qui planent sur la stabilité de nos jardins et lieux de production, et donc, en définitive, sur notre sécurité alimentaire. Êtes-vous prêts, vous aussi, à rejoindre cette (vraie) révolution verte ?
Comment concevoir votre forêt nourricière ?
Comme chaque design permaculturel, quelques étapes préalables sont indispensables pour réussir au mieux son projet sur du long terme. Clarifier les objectifs que l’on souhaite atteindre, lister les ressources dont on dispose (temps, main-d’œuvre, connaissances et expertises, notamment financières, matières premières…). Connaître le terrain et son histoire, son sol, le climat, ses expositions au soleil et au vent, ses atouts et ses contraintes, la flore autochtone qui offre des indications à prendre en compte. Puis seulement assembler judicieusement les végétaux sur un plan. Il existe des « guildes », c’est-à-dire des suggestions d’associations favorables d’arbres, d’arbustes et d’autres végétaux, fournies notamment par www.permaculturedesign.fr
Mais une solution plus intéressante encore serait de se faire accompagner par un designer spécialisé, pour une proposition vraiment personnalisée et adaptée. Par exemple Semisto, l’association dont les ambitions grandioses sont de transformer nos régions en paysages nourriciers, de nourrir l’humanité et de régénérer notre précieuse biosphère. Semisto propose des formations, un bureau d’études, une future pépinière-école et un collectif de planteurs en musique: les Food Forest Heroes .
www.semisto.org
Les bureaux d’études www.canopy-design.com et www.metadesign.be offrent également un accompagnement compétent pour la réalisation d’une forêt nourricière.
Mon jardin comestible et médicinal, encore en développement, s’inspire des caractéristiques de la forêt nourricière. Il est situé en milieu périurbain (Ottignies-Louvain-la-Neuve) et s’étend sur une surface de 1000 mètres carrés. Il abrite plus de deux cents variétés de végétaux « comestibles » différents, dont huit arbres de canopée comestibles, trente arbres fruitiers et une quarantaine de petits fruits.
Ce mode de production alimentaire très porteur d’espoir est pratiqué depuis la nuit des temps dans certaines régions du monde, et pourtant, nous en sommes encore au stade expérimental en Belgique.
Voici quelques modèles inspirants de Belgique et d’ailleurs:
➤ www.hetvoedselbos.be (25 ans d’expérience en Belgique)
➤ www.fraternitesouvrieres.over-blog.com
➤ www.foretgourmande.fr
➤ www.agroforestry.co.uk
➤ www.miracle.farm
➤ www.apricotlanefarms.com
Mes pépites de fournisseurs de plants
Bois de Rode Bos
La pépinière spécialisée en fruitiers hors du commun comme les nashis, mangues du Nord, mûriers, figuiers et kakis. Les plants sont multipliés localement ou par des partenaires passionnés et les ventes soutiennent des recherches en sélection variétale, 100 % autofinancées :
99 drève de Linkebeek, 1640 Rhode-Saint-Genèse
www.boisderodebos.be
Pepinières d' Enghien
Pour les fruitiers plus traditionnels
rue Noir Mouchon 23A, 7850 Enghien
www.pepinieresdenghien.be
Pepinières de Louveigne
rue de La Gendarmerie 38 4141 Louveigné
www.pepinieresdelouveigne.be
Arbuste Fruitier
17 Cobreville 6640 Vaux-sur-Sûre
www. arbustefruitier.com
Pauline de Voghel,
diététicienne, permacultrice